La 7ème Porte par Jean-Charles Peguet



Discussion :

Cette analyse du cloître du Mont-Saint-Michel ne se dérobe pas à la discussion.

Tout cela ne serait-il que l’effet du hasard ?
Eliminons d’emblée cet argument éculé. Un ensemble aussi complet de positionnements particuliers construits sur une telle variété de montages numériques dans la cohérence des nombres bibliques montre à lui seul que cet argutie n’est pas recevable.

Peut-on faire dire aux nombres ce que l’on veut ?
Cette vérité première est parfaitement fondée. Ce sont en effet les Pères de l’Eglise, saint Augustin, Isidore de Séville et beaucoup d’autres qui ont lentement élaboré, au fil des siècles, une interprétation particulière des nombres qui parsèment les saintes Ecritures et leur ont attribué une valeur spirituelle. La question n’est pas de contester ce qu’ils ont fondé mais d’essayer d’entrer modestement dans leur système de pensée.

Cette démarche n’a pas été initiée par les grands historiens de l’art. Il serait assez vain d’aller rechercher quelque assentiment chez les grands historiens de l’art, Violet Le Duc, Emile Mâle, Focillon, Louis Réaux qui n’ont, en effet, que très peu développé l’histoire de l’art en fonction des rapports qui s’établissent entre l’architecture et les nombres qui la sous-tendent.

Cette étude n’est pas « scientifique ». En l’absence de tout rapprochement systématique avec de nombreux autres exemples tirés de cas identiques, tel que sait le faire l’Histoire de l’art, certains diront que cette interprétation serait en effet invérifiable et, prétendument sans assise « scientifique », serait infondée.

Pour répondre à ces remarques, il faut rappeler que les cloîtres complets sont aujourd’hui rarissimes. La plupart d’entre eux, endommagés par les outrages du temps, ont été partiellement démantelés, succombant sous la pioche des démolisseurs. Avec Moissac (vers 1100), le cloître du Mont-Saint-Michel est l’un d’eux qui se présente encore dans l’état de son origine. Reconstruit au hasard d’une destruction en 1204, il s’inscrit dans un courant dominé par la prééminence cistercienne où ne régnaient plus, dans l’espace claustral, que l’harmonie des proportions et les jeux de lumière. (Saint Bernard avait suffisamment fustigé l’expression iconographique pour que celle-ci se tarît un peu partout). Ici, l’austérité de sa courette centrale quand elle ne possédait pas de jardin d’agrément alliée à celle des galeries élevées en granit traduit parfaitement cet esprit.

Cependant, il se positionne délibérément dans la tradition bénédictine par l’expression luxuriante de sa frise sculptée.
Ainsi, le cloître du Mont-Saint-Michel se situe-t-il à la croisée des deux courants.

Enfin, la numérotation des chapitres de la Bible mise en place par Stephen Langton, théologien et exégète à la fin du 12ème siècle à Paris, n’apparaissant qu’au début du 13ème siècle, vers 1203-1205, il est sans doute le seul qui, dans le courant cistercianisant de son temps, eut l’audace d’appuyer l’expression spirituelle encore toute bénédictine de son programme iconographique sur des constructions numériques en rapport direct avec les nombres sacrés de la Bible et la récente numérotation de ses chapitres.

Rien d’étonnant dans ces conditions qu’il ne soit plus possible de retrouver ailleurs des compositions qui se fondent sur les rapports entre les références bibliques, la typologie, la numérologie spirituelle, et cela, de plus, dans un contexte de consolidation de la foi chrétienne instrumentalisée par les ordres mendiants, selon la volonté d’Innocent III, en défense contre le courant aristotélicien et la « révolution » scolastique. A contexte historique exceptionnel, création et survivance exceptionnelles d’un cloître singulier.

Exemplaire unique d’une « science des cloîtres » aujourd’hui oubliée. Spécimen incomparable où beaucoup reste à découvrir.

Pour aller plus loin...

Rien ne vous empêche, muni de votre Bible, de rechercher d'autres exemples associant plusieurs écoinçons, de leur trouver du sens, en fonction de leur position dans le cloître, de la numérotation des Écritures, des concordances typologiques. Vous irez ainsi de découverte en découverte.

Sans prétendre être totalement exhaustif, un ouvrage vous apporte une compréhension globale plus approfondie, en replaçant le cloître dans le contexte historique et spirituel de son temps.

Aller encore plus loin? Le livre !