Discussion :
Cette analyse du cloître du Mont-Saint-Michel
ne se dérobe pas à la discussion.
Tout cela ne serait-il que l’effet du
hasard ?
Eliminons d’emblée cet argument éculé. Un ensemble aussi
complet de positionnements particuliers construits sur
une telle variété de montages numériques dans la cohérence
des nombres bibliques montre à lui seul que cet argutie
n’est pas recevable.
Peut-on faire dire aux nombres ce que
l’on veut ?
Cette vérité première est parfaitement fondée. Ce sont
en effet les Pères de l’Eglise, saint Augustin, Isidore
de Séville et beaucoup d’autres qui ont lentement élaboré,
au fil des siècles, une interprétation particulière
des nombres qui parsèment les saintes Ecritures et leur
ont attribué une valeur spirituelle. La question n’est
pas de contester ce qu’ils ont fondé mais d’essayer
d’entrer modestement dans leur système de pensée.
Cette démarche n’a pas été initiée par
les grands historiens de l’art. Il serait assez vain
d’aller rechercher quelque assentiment chez les grands
historiens de l’art, Violet Le Duc, Emile Mâle, Focillon,
Louis Réaux qui n’ont, en effet, que très peu développé
l’histoire de l’art en fonction des rapports qui s’établissent
entre l’architecture et les nombres qui la sous-tendent.
Cette étude n’est pas « scientifique ».
En l’absence de tout rapprochement systématique avec
de nombreux autres exemples tirés de cas identiques,
tel que sait le faire l’Histoire de l’art, certains
diront que cette interprétation serait en effet invérifiable
et, prétendument sans assise « scientifique », serait
infondée.
Pour répondre à ces remarques, il faut
rappeler que les cloîtres complets sont aujourd’hui
rarissimes. La plupart d’entre eux, endommagés par les
outrages du temps, ont été partiellement démantelés,
succombant sous la pioche des démolisseurs. Avec Moissac
(vers 1100), le cloître du Mont-Saint-Michel est l’un
d’eux qui se présente encore dans l’état de son origine.
Reconstruit au hasard d’une destruction en 1204, il
s’inscrit dans un courant dominé par la prééminence
cistercienne où ne régnaient plus, dans l’espace claustral,
que l’harmonie des proportions et les jeux de lumière.
(Saint Bernard avait suffisamment fustigé l’expression
iconographique pour que celle-ci se tarît un peu partout).
Ici, l’austérité de sa courette centrale quand elle
ne possédait pas de jardin d’agrément alliée à celle
des galeries élevées en granit traduit parfaitement
cet esprit.
Cependant, il se positionne délibérément
dans la tradition bénédictine par l’expression luxuriante
de sa frise sculptée.
Ainsi, le cloître du Mont-Saint-Michel se situe-t-il
à la croisée des deux courants.
Enfin, la numérotation des chapitres
de la Bible mise en place par Stephen Langton, théologien
et exégète à la fin du 12ème siècle à Paris, n’apparaissant
qu’au début du 13ème siècle, vers 1203-1205, il est
sans doute le seul qui, dans le courant cistercianisant
de son temps, eut l’audace d’appuyer l’expression spirituelle
encore toute bénédictine de son programme iconographique
sur des constructions numériques en rapport direct avec
les nombres sacrés de la Bible et la récente
numérotation de ses chapitres.
Rien d’étonnant dans ces conditions qu’il
ne soit plus possible de retrouver ailleurs des compositions
qui se fondent sur les rapports entre les références
bibliques, la typologie, la numérologie spirituelle,
et cela, de plus, dans un contexte de consolidation
de la foi chrétienne instrumentalisée par les ordres
mendiants, selon la volonté d’Innocent III, en défense
contre le courant aristotélicien et la « révolution »
scolastique. A contexte historique exceptionnel, création
et survivance exceptionnelles d’un cloître singulier.
Exemplaire unique d’une « science des
cloîtres » aujourd’hui oubliée. Spécimen incomparable
où beaucoup reste à découvrir.
Pour aller plus loin...
Rien ne vous empêche, muni de votre Bible, de rechercher
d'autres exemples associant plusieurs écoinçons, de
leur trouver du sens, en fonction de leur position dans
le cloître, de la numérotation des Écritures,
des concordances typologiques. Vous irez ainsi de découverte
en découverte.
Sans prétendre être totalement exhaustif,
un ouvrage vous apporte une compréhension globale plus
approfondie, en replaçant le cloître dans le contexte
historique et spirituel de son temps.
Aller encore plus loin? Le
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